Les primates, les éléphants, les loups, les baleines ou encore les dauphins utilisent des rites d’accueil et de paix, des rites pour structurer le groupe, pour maintenir sa cohésion, et aussi des rites pour faire face à la mort de l’un des leurs, voire la naissance notamment dans le cas des éléphants. Tous ces comportements constituent en somme une forme de langage corporel dont le but ultime est de soutenir et refléter l’unité vitale du groupe. Le rite correspond souvent à un besoin particulier mais s’articule fondament-alement à la vie du groupe et au maintien et à l’expression du lien social. Ces rites, nous les connaissons aussi sous d’autres formes.
Mais quelles sont alors les rites proprement humains fondamentaux à notre espèce ?
Ces rites ont dû naître en même temps que l’hominisation et sont largement antérieurs à l’apparition des structures religieuses. Celles-ci sont liées à la hiérarchisation croissante de certains groupes humains à la veille du néolithique. On ne peut pas vraiment parler de religion à propos des rites et des mythes des chasseurs-cueilleurs. Il s’agit simplement d’une vision du monde et de gestes qui lui sont accordés dont est absent la notion d’altérité hiérarchique radicale propre au religieux.
Ainsi, bavardons-nous (l’objet de la discussion importe peu) pour maintenir du lien social pacifique grâce à cet outil étonnant qu’est la parole humaine également capable de véhiculer tant d’informations mais qui ici à un rôle plus subtil. Mais c’est le partage du repas qui est rite le plus fondamentalement humain qui soit. Nous sommes devenus des humains lorsque la chasse est devenue notre source principale d’alimentation. Pourtant nous n’étions pas très bien équipés pour cette tâche. Pas de griffe puissante, ni de croc terrifiant, ni de pointe de vitesse à 100 km/h…
Non, nous, les humains, avons développé nos capacités collaboratives en même temps que nous le devenions. C’était indispensable pour chasser. Nous ne pouvions chasser individuellement et l’espèce n’aurait pas survécu si les meilleurs chasseurs n’avaient pas partagé toute la nourriture, y compris les morceaux les plus nourrissants, avec les plus faibles, notamment les enfants. Contrairement aux autres primates, nous sommes devenus strictement égalitaires. Les meilleurs parts ne revenaient plus aux mâles les plus intimidants.

C’est ainsi que le partage du repas est devenu le rite le plus fondamental de l’être humain.
En parallèle, et souvent en lien avec le repas, nous avons développé la fête. Un temps privilégié pour le rire (donc pour la transgression) – ce propre de l’humain — tout comme pour l’échange de sentiments amicaux. C’est dans ce cadre festif que s’est développée la pratique tellement humaine des masques et des peintures corporelles, perçues comme un autre reflet du monde des esprits dans la vision du monde animiste.

l’humain — tout comme pour l’échange de sentiments amicaux. C’est dans ce cadre festif que s’est développée la pratique tellement humaine des masques et des peintures corporelles, perçues comme un autre reflet du monde des esprits dans la vision du monde animiste.
Le rituel proprement humain a dû également accueillir, dès les origines, cette perception essentielle à notre cerveau (et à son énorme néocortex) qu’est le cycle du temps. Seuls parmi les mammifères, nous célébrons le cycle des saisons. De même, le rite humain accompagne le cycle vital des

individus de la naissance à la mort, en passant par la maturité, ou encore l’union de deux vies (nous sommes parmi les rares mammifères à structurer notre reproduction autour d’un couple relativement stable).
Dans la conscience humaine, le rite reste le langage privilégié du lien social. Il prend sa racine dans les échanges non-verbaux bienveillants où se construisent le lien de la mère et de son nouveau-né. L’enfant y trouve la ressource pour réguler son organisme et ses émotions. Plus tard il pourra s’appuyer de même sur ces proches. Les rites du groupe reflètent cette nécessité de régulation collective qui garantit notre stabilité intérieure (l’homéostasie). Le groupe préexiste à l’individu chez les animaux sociaux. Nous pensons d’abord l’individu mais c’est le groupe qui est premier. Ainsi, le rite humain finalement, dans notre conscience, reflète notre être au monde, le monde des autres humains, des autres êtres vivants et des éléments qui nous entourent, tous soumis au temps. Mais comme un être collectif. Jamais solitaire.